Lara, modiste, a fêté son quarantième anniversaire la semaine dernière et depuis trois ans, elle vit en solo. Et même si elle performe aisément à son travail et qu’elle sort souvent s’amuser en boîte avec ses amies, elle se sent seule. Pourtant, ses copines la trouvent chanceuse, car elle croule sous les invitations, mais chaque fois c’est décevant, rien ne fonctionne. Physiquement avantagée, cinq pieds, sept, mince avec une longue et soyeuse chevelure rousse, on pourrait facilement croire qu’elle est heureuse, mais non.
Or, maintenant, elle veut oser quelque chose de différent, aussi dans le journal «Dernières nouvelles», elle épluche les petites annonces, sous la rubrique «rencontrepourquoipas». Surprise, elle en choisit plusieurs, et s’inscrit. Finalement, elle se donne un mois pour toutes les rencontres, mais il lui a fallu quand même, vingt et un jours pour se décider à passer à l’action.
- Ouais, pour une première «date», il faut avoir le coeur solide, se parle-t-elle, en s’ennuyant au «Resto des mecs». J’ai l’impression d’être accompagnée de «L’homme des tavernes», un vrai sportif d’écran qui rote comme un bûcheron et en plus, il n’arrête pas de poser sa m......grosse main sur ma cuisse. Calvas!
- Hey, es-tu toujours boudeuse comme ça, toi? demande ce grossier personnage?
- Euh, non, répond-elle, vivement, en se levant. Tu sais moi je préfère un homme poli. Ça ne marchera pas! Bonne chance!
Et elle s’en va.
- Bon! Pour ce deuxième rendez-vous, j’aurais dû réfléchir plus qu’une journée, avant de m’impliquer ici, se dispute-t-elle. Jamais, j’aurais pensé rencontrer un «Jos sait tout»! Je suis incapable de placer une phrase, et quand je parviens à glisser un mot, «Jos sait tout» s’en empare et repart au triple galop dans un autre discours très désertique. Calvas!
- Hum, qu’est-ce que tu fais, là? lui demande l’homme, en la voyant debout.
- Tu devrais pourtant le savoir, monsieur «Jos sait tout», le cingle-t-elle. Ça ne marchera pas. Bonne chance!
Et elle s’en va.
- Oh, là, là! Je dois à nouveau constater qu’une semaine plus tard, c’est encore insuffisant pour que les astres s’enlignent afin que je trouve le mâle que j’aimerais, réfléchit-elle. Et que la vie est drôle quand même! Ce rancart-ci est totalement l’inverse de «Jos sait tout», il y a sept jours. Quel beau gars, celui-là, dommage, lui, je l’appellerais «Oui, non et vous?». Il est presque muet, timide, coincé, je le questionne, genre Colombo pour lui tirer les vers du nez, je m’acharne comme une forcenée pour une conversation des plus pauvres, et là, ça fait une heure que je bêche, il n’y a rien faire. Calvas!
- Euh.................euh.......pourquoi........euh......euh, tu mets...........ton........manteau? demande-t-il, craintivement.
- Tu me plais beaucoup, mais tu es trop silencieux et moi j’aimerais que tu me parles. Ça ne marchera pas! Bonne chance!
Et elle s’en va, à regret, cette fois.
- Bon, aujourd’hui, pour ce quatrième rencart, j’espère séduire la chance, et pour ça, j’ai changé de restaurant, pour le « Manhattan régional », marmonne-t-elle. Et d’après moi, assise près de l’entrée, c’est idéal pour le voir, dès son arrivée. En parlant du loup, oh, oh, oh, non, non, non, non, c’est pas vrai...à suivre...l est trop beau, un
dieu, wow, une mec à se damner, hein, il s’en vient vers moi.
- I, Nancy? Are you <st1:city w:st="on" style="font-size: medium;">Nancy,
from <st1:place w:st="on" style="font-size: medium;"><st1:city w:st="on">Montreal?
- Euh...................no.......gémit-elle,
excessivement contrariée.
- I’m sorry,
s’excuse-t-il, tout en fouillant du regard le resto pour se diriger finalement vers
une sirène, genre Claudia Schiffer.
- Me semblait aussi,
que c’était trop beau pour être vrai! Calvas!
Puis, soudain, un
colosse arrive, un géant d’au moins six pieds quatre.
- Oh non, mon Dieu!
J’espère que ce n’est pas lui, mon rendez-vous! chuchote-t-elle, les dents
serrées. Si c’est lui, ça m’apprendra à exiger une photo de pied en cap. Ma
foi, il est figé sur le seuil.
Effectivement,
l’entrée est envahie par l’arrivant, aux cheveux bruns bouclés à la Justin
Trudeau, vêtu d’un complet marine, mais dont l’odeur de naphtaline se répand, faisant
tousser tout le monde. Le titan, les bras en parenthèses, haletant, furète pour
trouver la dame à l’œillet rose, quand tout à coup, un large sourire lui fend
le visage, en apercevant Lara. Statufiée, elle sort de sa torpeur, mais n’a plus
le temps de se cacher, alors, énervée, elle se penche pour feindre de fouiller
dans sa bourse, par terre. Et de toutes ses forces, elle voudrait rester là, hélas,
elle l’entend marcher et il s’arrête à côté de sa table.
- Hum, mademoiselle Lara?
Désespérée, elle se cogne
la tête en se redressant, puis s’enlaidit de son pire sourire, crispé, comme si
quelqu’un la pinçait.
- Bonjour, je suis Richard
Cordolion, se présente-t-il, en lui tendant une main de la grosseur d’une tête
d’enfant.
Et la menotte de Lara
est engloutie, et elle déteste l’image que cela donne. Séquestrée par la
situation, elle ne sait plus que faire. Alors, lui, en profite pour s’éponger
le visage avec un mouchoir, qu’il range après, dans la poche de son veston qui se
déforme.
- Ouf, ouais, bon,
euh, si vous voulez vous asseoir! lui offre-t-elle, d’un ton bas, là où se
situe son moral.
- Merci, Lara,
sourit-il.
En reluquant les
chaises délicates qui ont l’air sans défense, elle s’inquiète. Et lui, s’abat
de tout son poids sur le siège d’en face, qui craque, puis qui disparaît complètement,
au point que l’on pourrait penser qu’il mime la position assise.
- Non, mais quelle
chaleur pour une journée de juillet! clame-t-il, avec un air niais, tout en
éclatant de rire seul, à s’entendre dire une phrase si quelconque.
Et Lara songe que pour
lui, ce sera seulement un café, maximum trente minutes, sauf qu’à cet instant
précis, un ange passe, car le rire de Richard est tellement contagieux, qu’elle
l’accompagne en gloussant bruyamment.
- Et si on
commandait un café? propose-t-il, en lui faisant un clin d’oeil.
- Avec plaisir, se
surprend-elle à répondre, en se demandant, tout à coup, ce qui vient de se transformer.
Et pendant qu’ils
dégustent chacun leur espresso, elle est bien obligée d’admettre que malgré
l’odeur de naphtaline, et même s’il n’est pas du tout son genre, il a un petit quelque
chose d’indéfinissable et de fort charmant. C’est pourquoi, elle décide de
donner une chance à la vie, à sa vie.
Et après, ce fut un
souper, non prévu, très romantique et drôle, ainsi qu’une balade au clair de
lune dans le fameux «Parc des mille rencontres», tout près de chez elle.
En fin de compte, qu’est-il
arrivé, au juste? Et pourquoi ce revirement si subit? L’ange y est pour quelque
chose, mais il faut dire que Richard s’est révélé l’homme le plus gentil, le
plus attentionné, qu’elle n’ait jamais connu. Et de ce fait, elle a découvert
la merveilleuse émotion de se sentir la seule femme au monde, pour lui.
Tout en marchant
ensemble, elle pense au repas, quand il lui versait le vin, puis quand le
climatiseur s’est déchaîné, lui, en la voyant frissonner, il lui a offert son
veston de naphtaline qu’elle a accepté. Alors, il est venu lui poser sur les
épaules, qu’il a frôlées avec une infinie douceur, très surprenante pour un
homme de ce gabarit. Et depuis, il en a toujours été ainsi.
Lara et Richard sont
ensemble depuis trois ans, aussi je dois donc conclure que ce fut plutôt une «rencontre
d’un type».
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